Dans le Risoux, à l’automne, on peut croiser un « cueilleur d’arbres ». Il avance entre les sapins, les observe, les dévisage, puis frappe d’un maillet tel tronc, tel fût, l’oreille contre l’écorce, pour en capter la qualité vibratoire qui en fera du bois de lutherie, du bois de résonance.
D’abord, que l’on ne se perde pas dans le relief complexe et sans horizon de ce Jura profond peut surprendre. Mais le cueilleur l’arpente sans répit, et depuis des décennies choie du regard l’arbuste croissant, en mesurant sa vigueur, sa droiture, sa bonne implantation.
Ensuite, que l’homme puisse élire tel épicéa et laisser tel autre est plus improbable encore. Les artisans ne s’y trompent pourtant pas et font à son oreille une confiance aveugle.
Mais voici ce qui ravit le promeneur au détour du chemin : c’est dans la plante vivante, pulsant de sève et de résine, bourgeonnant, fructifiant, que le cueilleur reconnaît ce qui fera chanter les notes les les plus chaudes, les plus nettes une fois la table galbée, cambrée l’éclisse, ancré le chevalet.
Tel est le mystère du bois sec, du violon assemblé, paré, poli, verni. Puis tendu, accordé et joué. Vivaldi ? Bach ? Brahms ? Berg ? Ou une danse cajun, ou un trille de Grapelli ?
Mais tout cela ne serait rien sans un très humble morcelet cylindrique, expertement placé au cœur de toutes les tensions : l’âme.