La pesanteur et la grâce

Simone Weil a été confrontée à la barbarie de la guerre d’Espagne. Elle en est ressortie profondément meurtrie et a réalisé qu’il y a en l’homme une prédisposition à vouloir dominer autant qu’il peut dominer. A tuer autant qu’il peut tuer. Force est de constater que l’homme religieux n’y échappe pas : « J’ai eu le sentiment que lorsque les autorités temporelles ou spirituelles ont mis une catégorie d’êtres humains en dehors de ceux dont la vie a un prix, il n’est rien de plus naturel à l’homme que de tuer. Quand on sait qu’il est possible de tuer sans risquer ni châtiment ni blâme, on tue. » Cette loi est pour elle universelle. Elle l’appelle la pesanteur. Nous nous retrouvons alors devant ce qui apparaît comme un échec : l’homme de bonne volonté, Dieu même, semblent impuissants face à la cruauté de l’homme. Mais Simone Weil n’en restera pas là. Suite à une expérience spirituelle qui a bouleversé sa vie, elle affirmera qu’une possibilité existe pourtant de sortir de ce drame : « Ne pas dominer l’autre là même où on en a le pouvoir : retenir en soi l’appétit de domination ». Ce renoncement volontaire – une absurdité face au règne de la force ?- elle l’appelle la grâce, loi nouvelle qui fait éclater ce qu’on croit être une fatalité et ouvre un chemin nouveau. Faire l’expérience d’une telle grâce permet-il de tenir à distance ce besoin de domination et de s’orienter vers une destinée enfin humaine ?  (…)

 

Eric Walther – Extrait de l’éditorial d’Itinéraires n°112