C’est une idylle ! Tout dans ce film est antique jusqu’à l’herbe qui nourrit le troupeau, la violence désemparée des hommes qui surnagent dans le tumulte d’échines, la blondeur de cette femme enfant au bleu regard de statue. Tout est tendre et violent comme le marbre, le chardon ou le granit.
C’est une Géorgique moderne où un garçon et une fille lâchent tout pour retomber en enfance, signer le pacte du retour à la terre intraitable, se fondre dans l’alpe immense.
C’est un lamento d’aujourd’hui : la poisse, les hameaux vacillants, l’épizootie et l’orage, les invraisemblables vallées, les loups invisibles et soudains. Le sang, le suc, la pente, la pente, l’abrupt, la pente.
Un petit Québécois surgit de nulle part dans les Alpilles et se veut berger. Vé, on lui pardonnera son accent s’il fait l’affaire. Or, il ne suffit pas d’un chapeau de feutre et d’un Laguiole : sous leurs airs frustes, les bergers d’ici sont des savants de la chose ovine, ils sont organisés, solidaires juste ce qu’il faut et âpres comme pierre de falaise. D’un pâtre marocain, le blanc-bec canadien apprend tout à la dure, tandis qu’une blondeur que Pôle emploi bassine le rejoint sans réserve. Les voici transhumant vers un lointain alpage où tout arrivera.
Ces « bons bergers » ne sont guère au paradis, mais ils se donnent tout entiers et c’est très beau. C’est beau comme l’engagement, beau comme l’échec et la persévérance.
Jean-Daniel Rousseil
Bergers, un film de Sophie Deraspe, 2025