MU(T)ER

Il ne serait pas nouveau d’affirmer que le mouvement c’est la vie, ou l’inverse. Mais on ne situerait le débat que dans le cadre de l’action,  voire de la fatalité des lois naturelles.

C’est autre chose que de d’adopter le perspective du temps. Le changement nous place-t-il sous le joug de la perpétuité ou dans l’ouverture de l’éternité ? Châtiment ou salut ? On voit bien que la maladie qui guette, la vieillesse qui ronge, le désespoir qui lamine, tous ces changements auxquels nous n’échappons pas pèsent comme des punitions sévères, inexorables, brusques ou, pire, patientes.

L’itinéraire qui s’ouvre pour qui se sait appartenir à la Création, qui se sait voulu par le Créateur est tout autre. Si l’éternité dépasse son intelligence, elle l’invite à se reconsidérer non pas comme un être fini, voué à s’élever un peu avant de décliner, à glaner quelques sensations, formuler quelques propos et demeurer solitaire dans sa redoutable qualité d’individu, mais bien plutôt à se découvrir partiel donc partenaire, solide parce que solidaire, créé donc créatif. Sans doute même, notre finitude devient la condition de notre responsabilité, inscrite dans un mouvement qui ne se borne pas à nous faire croître ou racornir mais nous emporte, nous soulève, nous réclame.

Ramuz, dans Si le soleil ne revenait pas, montre la morbide confusion de ce vieux sage qui proclame, sentant venir sa propre fin, que le monde disparaîtra, que jamais plus l’astre du jour ne franchira la haute crête des montagnes, que le gel et la glace serreront leur étau sur la maison des hommes. Sombre prophète de lui-même, tenté par la toute-puissance du récit apocalyptique. Ramuz, pourtant pessimiste, lance une escouade de jeunes gens à l’assaut de l’ubac, les voit gagner dans la nuit les hauteurs, atteindre l’échancrure de la montagne, revoir, les premiers, la brillante étoile du matin et l’annoncer à la vallée entière d’un coup de trompette étincelant.

Muer, muter, prendre des risques, croire à plus haut que soi, entendre la Bonne Nouvelle comme une trompette libératrice, conjuguer les efforts pour apporter à nos voisins ce regain d’espérance que nous refusent avarement les vaticinateurs, tel est le défi, le risque, la chance, la Providence.

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