Retrouver Elie Wiesel

Célébration hassidique, Seuil, Points Sagesses, 1972

On connaît Elie Wiesel, rescapé des camps, qui évoque, dans La Nuit, avec la perte de son père, la perte de toute paternité. On connaît le romancier, on connaît le Prix Nobel de la Paix qui pose un regard à la fois éteint et doux sur les camps de la guerre yougoslave. On connaît moins celui qui nous initie subtilement aux itinéraires compliqués de la culture juive de l’Europe centrale où les rabbis hassidiques élaborent, de 1700 à 1850, une pensée à la fois marginale et très originale. Tandis que la France fait rayonner ses Lumières, une autre pensée bourgeonne à l’Est, de synagogue en yechiva: une pensée marquée par la précarité, par la persécution, par une profonde consécration.

On connaît donc le Wiesel humaniste, docteur honoris causa de maintes universités prestigieuses. Il faut découvrir celui qui sonde les mystères de la foi juive en sinuant entre « Portraits et légendes », ainsi que le veut le sous-titre de son ouvrage. Et Wiesel s’évertue à perdre le lecteur qui voudrait un cours, un exposé magistral, une typologie analytique. Les rabbis sont des hommes du commun et hors du commun, tel est le propos de celui qui cherche à marcher sur leur trace pour les surprendre non pas professant mais progressant.

On reconnaît donc le Wiesel protestataire en celui qui révèle ces rabbis visités, questionnant, imprévisibles. Il les saisit à ce point de leur chemin où ils doivent eux-mêmes se saisir et se ressaisir, où on les somme de fixer la pensée et où ils la libèrent au contraire pour ne pas la figer. Wiesel ne se prive pas de les situer en cette inimaginable Europe ancienne où ils sont consultés par des pèlerins venus on ne sait comment jusqu’à eux. Wiesel les dresse tête nue vers le ciel qu’ils scrutent avec audace, mystiques et fraternels. Ces rabbis ont à nous en apprendre.

« Qu’avez-vous appris à Mezeritch ? demandait-on à Rabbi Aharon de Karlin. – Rien du tout. – Comment cela ? – – Oui, disait-il. J’ai appris à Mezeritch que je n’étais rien du tout.  » (p.65)