Un Chessex, par exemple…

Pourquoi se tient-on, à lire Un Juif pour l’exemple de Jacques Chessex, sur le seuil de cette cité hantée par le meurtre inqualifiable d’un marchand de bétail israélite et toutefois bernois.

Pourtant, l’auteur n’est pas avare de moyens : il reconstitue, en une polyphonie subtile, la sourde clameur que le nazisme a levée parmi les réprouvés de la Suisse de 1942, une Suisse paisible et tremblante, prospère et frileuse. Un pasteur divorcé, un fouetteur de servante, des paysans déchus escortés d’un cynique valet. Un drôle de clique. Fumante comme un brandon.

Chessex trame son récit de morceaux de bravoure où l’on sent la texture d’autres écrivains et des plus grands, de Rabelais à Céline en passant par Balzac. Sans toutefois cette sorte d’insensibilité de surface propre à Flaubert, n’en déplaise à Garcin, thuriféraire parisien de notre Goncourt.

Chessex décrit même avec minutie l’horreur du mécanisme au terme duquel une barre de fer énuque le bétailler ventru, ferré par la bonne affaire. L’auteur surgit en fin de cérémonie pour nous révéler le fond de ce réquisitoire : un interminable cauchemar personnel, la source profonde de sa rêverie tourmentée sur le mal absolu. Il cite Jankélévitch, il pourrait relire Arendt.

Récit ? Essai ? Confession ? Il est moderne de laisser planer le doute. Ça devrait suffire.

Mais on ne peut s’empêcher de réaliser que l’on a lu, avec des haut-le-cœur, un autoportrait qui se drape de violence, qui se pare d’horreur, qui tire à lui la sensation comme une mauvaise couverture, ou qui en fait un gourdin pour mieux nous l’asséner sur la nuque.

On est en droit de penser que c’est impardonnable. La shoah – l’inconcevable – est bien au-delà des mauvais rêves chesselciens. Qu’Arthur Bloch repose en paix !

JDRousseil

NB: L’image ci-dessus est tirée du film éponyme, signé  Jacob Berger