On peut craindre que traduire Unforgiven de Clint Eastwood en Impitoyable ne visait qu’à attirer le chaland. Car littéralement, Impardonné, voire Impardonnable serait préférable. Et cela change tout car d’une attention portée au coup de colt, au grand ménage dans cette bourgade infernale, on se retournerait vers la cause et vers le but de ce déferlement de violence.
Notons que, tel l’enfant prodigue, William Munny, roule dans la fange avec les porcs tout en élevant seul ses enfants. Nul besoin de dire qu’il y a un ailleurs. Et c’est dans le passé qu’il faut aller le chercher : ce veuf longiligne et maladroit, ce père modèle, cet éleveur solitaire et pacifique a été chasseur de primes ou tueur à gages. Il cherche à oublier tout cela vaille que vaille, rendant un culte à l’épouse défunte qui l’a ramené dans le droit chemin. Mais voilà : une faction de filles publiques se cotise pour le stipendier et lui commander la vengeance de l’une des leurs qu’un client a défigurée. Le repenti abstinent appelé en sauveur mercenaire, l’enfant prodigue rappelé à la maison de ces femmes aux sept maris ! Clint Eastwood titille méchamment le catéchisme ! Sans compter que la beauté rectifiée au coutelas porte le doux nom de Delilah !
Bref, Munny prend sur lui, arrange un peu ses affaires et se lance. Mais pas question d’y aller seul ! Ned, un ami noir le rejoint, et tous deux s’encombrent d’un gamin myope et mythomane. Sacré trio ! Au moment de trucider le tortionnaire du lupanar, le doute s’installe. Ned, propriétaire de l’arme, ne se résout pas à tirer, tandis que le gosse ne voit pas même la cible. Munny empoigne la carabine, tire, rate trois fois et finit par toucher en causant une sale blessure aux entrailles. Le Talion est appliqué, mais dans le déshonneur de tous. Les selles se mêlent au sang.
Ned fait sécession, déprimé, retourne aux profondeurs du désert qui l’avaient vu émerger. Il sera rattrapé et fouetté à mort – le châtiment des esclaves – par le shérif Little Bill. Personne ne bronche. Aux yeux de tous, « C’est comme ça !»: l’homme à l’étoile fait régner la force des choses. William et le petit retrouvent l’acolyte du tortionnaire : le gamin le tire à bout portant dans les lieux d’aisances. Selles et sang. Il confesse que c’est son premier meurtre, que rien ne lui faisait deviner cette horreur… et que ce sera le dernier. Voilà Munny laissé seul. Mais on a tailladé les joues d’une jeune fille, on a faire mourir un ami sous le fouet, on a poussé un gosse à tuer. Le spectateur voit défiler l’histoire américaine en théâtre d’ombres. Munny décide que c’en est trop. Impardonnable !
Sous un véritable déluge, il entre dans le saloon, commence par punir le tenancier d’une balle au cœur, puis dératise littéralement les lieux. En terminant par le shérif – William se débarrassant de Bill, ce double qu’il voulait avoir fui – avant de sortir en proférant l’apocalypse sur le peuple veule de ce trou que l’on situe évidemment au milieu du monde.
Pouvait-on rester sans agir ? Doit-on laisser des femmes – quelle que soit leur vertu – broyées par la violence des hommes, des Noirs ne jamais échapper à la fatalité, des mains d’enfants appesanties par le fer du pistolet ? Eastwood soulève les questions sans répondre. Au spectateur de se faire sa grande ou sa petite morale ! William Munny se recueille sur la tombe de sa femme. N’a-t-il pas ajouté le mal au mal ? Peut-on se repentir plusieurs fois ? Le ciel est en sang. Le générique peut défiler.
Unforgiven de Clint Eastwood – 1992
Jean-Daniel Rousseil