Pas à pas, passages et passions

Ouvrir le livre, c’est ouvrir une boîte-aux-lettres où, chaque jour, un ange a déposé une grande enveloppe cachetée.

C’est une fébrilité, une légèreté de papillon pour un premier rendez-vous.

C’est délacer ma cuirasse et déposer les armes.

C’est faire taire les chahuts, les esclandres, jusqu’à percevoir les halètements du monde.

Et m’accrocher à une farandole qui m’entraîne, m’embarque au-delà de ce temps, et m’emporte aux rivages de promesse.

C’est saisir mes deux cruches (le vieux dico Bailly[1] de ma Grand-maman, la Concordance[2] offerte par mes compagnes et compagnons) et m’en aller puiser aux fonts des millénaires.

C’est m’asseoir et rouvrir mes oreilles d’enfant : « Raconte-moi une histoire ! ».

Laisser revenir les belles images, les bercer doucement puis se taire et écouter leur balbutiement.

C’est entrer dans une caverne, m’enfoncer dans le noir avec juste une petite lampe frontale.

Laisser fondre le névé des certitudes, me faire tout petit sous les clochettes des soldanelles.

C’est regarder venir l’automne dans ses œuvres : il allume chaque feuille de son incandescence.

 

Ouvrir le Livre, c’est récolter du miel pour les tartines familiales du dimanche.

C’est partir en exploration, préparer une excursion, trouver les passes, chercher le gué, le chemin où tous pourront suivre.

C’est ressentir ma soif plus forte que ma paresse et puis deviner la soif des autres, plus forte que toutes les exigences.

C’est trembler de mal lire, de mal dire.

Relever le défi d’un géant surarmé avec, en poche, quelques galets du ruisseau.

C’est demander de l’aide, ouvrir d’autres livres, recourir au GPS, le grand pourvoyeur de sens.

Repérer des empreintes effacées, repeindre des marques ternies, redresser des balises et des garde-fous, renforcer les passerelles.

Tenter de combler les ornières creusées par des siècles d’habitudes, d’abus de pouvoir, de perversions même.

C’est opérer, désinfecter, retrancher ce qui est meurtri, exciser la tumeur, drainer l’abcès, recoudre point par point. Panser.

C’est dire oui à une invitation tombée du ciel et se réjouir de son échéance.

C’est me suspendre aux regards des enfants qui m’écoutent, à leur curiosité, à leur confiance. Oh la peur de tomber, de les entraîner dans ma chute !

C’est appeler chacun, chacune par son nom et les rejoindre, les re- joindre ?

C’est un petit coup de diapason… voir les mots sur une portée… laisser résonner les silences.

Déchiffrer, ânonner, les notes, les harmoniques, naître et s’élever dans une nouvelle mélodie, muer jusqu’à oser être chantre.

C’est traduire, toujours traduire, sans peur de trahir.

C’est donner à savourer le mot-surprise, le mot-carrefour, le mot-farceur.

C’est entrer enfin dans la fête, avec le fils aîné et tant d’autres, et recevoir la joie en héritage.

Dire encore merci aux défricheurs, aux cartographes, aux terrassiers, aux baliseurs, aux …

 

Ouvrir le livre, c’est se retrouver à la veillée et casser la croûte, partager la mie de parole.

Échanger nos errances et nos illuminations, nos essoufflements et nos trouvailles, nos questions et nos prières.

C’est se donner la main pour aller d’un même pas.

Suivre la voie des lucioles dans leur danse amoureuse.

Ce sera se reposer ensemble, quand viendra la nuit noire, et chanter.

DANIEL ROUX

[1] Dictionnaire grec-français

[2] Concordance biblique : ouvrage alphabétique permettant de retrouver tous les versets où figure un mot donné.